Communication

Alors que le projet de loi confortant le respect des principes républicains est discuté par le Parlement depuis le 1er février, l’Académie catholique de France entend souligner le risque que ce texte présente, en substituant la méfiance et la suspicion à la relation apaisée qui prévaut aujourd’hui entre la République et les cultes.

Ce projet constitue une mutation radicale

Le régime de séparation des cultes et de l’État et l’affirmation de la laïcité se sont constitués progressivement. Le projet anticlérical d’Émile Combes, destiné à réduire radicalement l’influence du catholicisme, a évolué par étapes, grâce aux lois successives, à commencer par celle de 1905, aux régulations diplomatiques de 1923-1924, mais aussi à la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, pour parvenir à un équilibre qui respecte la liberté des cultes comme l’action de l’État.

Face au développement de l’islam, ce n’est plus le catholicisme qui est devenu l’objet implicite ou explicite de la législation en matière religieuse. Mais, appréhendant une religion qu’il ne connaît pas, le législateur rompt avec la politique traditionnelle. Sous prétexte de combattre « l’entrisme communautariste » qui se serait infiltré dans l’islam (exposé des motifs du projet de loi), il opte pour une batterie de mesures répressives qui, universalité de la loi oblige, s’adresse à toutes les religions et limite gravement la liberté d’association et la liberté du culte sans pour autant atteindre son objectif.

Organiser l’islam en France :
une ambition que le projet de loi ne permet pas d’atteindre

Depuis plusieurs décennies, l’État s’est montré incapable d’appréhender l’islam, dont la présence s’est développée en France depuis les années 1960, autrement qu’en s’en remettant aux États dont sont issus les migrants de confession musulmane (Algérie, Maroc et plus récemment Turquie). La République les a laissés prendre à leur charge la construction de mosquées, la formation et le financement des ministres du culte, voire le contrôle des communautés. Afin d’assurer leur organisation furent créées le plus souvent, plutôt que les associations cultuelles régies par la loi de 1905, des associations de la loi de 1901, ce qui a permis de mêler au culte l’entretien des traditions culturelles et la solidarité ethnique.

Dans ces conditions, la volonté de substituer un « islam de France » à la diversité de cet islam quasi exclusivement sunnite et éclaté par communautés nationales d’origine, bien que récurrente depuis vingt-cinq ans, est irréaliste ; le projet de loi en discussion n’y contribue d’ailleurs pas.

D’abord parce qu’il stigmatise les musulmans en mettant en avant des questions qui sont déjà visées par la loi, comme la polygamie. Ensuite, parce qu’il risque d’avoir un effet contre-productif : donner l’impression de promouvoir un islam dépendant de l’État peut aboutir à séparer les fidèles de dirigeants jugés trop complaisants. Enfin, parce que, contrairement à ce que prétendent ses promoteurs, il ne rompt pas le lien financier avec les pays étrangers : l’État n’ayant jamais envisagé de financer le culte musulman, le projet de loi ne prévoit que le contrôle de certains financements étrangers.

Les dangers pour la liberté de culte

S’il ne peut pas atteindre les objectifs affichés, le projet de loi risque en revanche de toucher au cœur même de la liberté de culte, telle qu’elle est assurée dans le cadre de la loi de 1905.

L’adoption du projet de loi constituerait en effet une révolution par rapport à la loi de 1905, en introduisant des mesures de contrôle et des sanctions pénales sans précédent depuis la Révolution française.

Si le gouvernement a renoncé à l’autorisation préalable des associations cultuelles envisagée par l’avant-projet de loi, l’article 27 du projet de loi prévoit qu’à la déclaration de l’association cultuelle en préfecture viendra s’ajouter une déclaration supplémentaire de la qualité de cultuelle, qui devra être renouvelée tous les cinq ans. Le préfet aura la possibilité de retirer les avantages du statut d’association cultuelle à telle ou telle association.

Avec un peu de recul, il est aisé de voir l’utilisation qui pourrait être faite de telles dispositions par un gouvernement en opposition ouverte avec des croyants : il disposerait d’une mesure de rétorsion, déconcentrée au niveau des préfectures, facile à mettre en œuvre dans des situations où des groupements clairement identifiés comme confessionnels s’opposeraient à des orientations ou des choix politiques, ce qui est, rappelons-le, parfaitement légitime dans un État démocratique.

II convient plutôt de se poser quelques questions préalables :

  • Ne faut-il pas explorer la voie du dialogue et du règlement des difficultés uniquement là où elles existent et par ceux dont c’est la mission de les traiter ?
  • Faut-il changer le droit des associations comme l’envisage le projet de loi en subordonnant toute subvention publique à la conclusion d’un contrat d’engagement républicain ? Il serait risqué pour le législateur de revenir sur la liberté d’association, consacrée par le Conseil constitutionnel depuis 1971.
  • Prenant exemple sur la reconnaissance de la spécificité du culte catholique qui a conduit à l’adoption du statut type des associations diocésaines, garanties par des accords diplomatiques, l’État n’a-t-il pas tout intérêt à conduire des négociations directes avec les instances musulmanes pour inventer des associations spécifiques, dans le cadre des lois de 1905 et de 1907 ?
  • Est-il utile d’adopter de nouvelles règles en matière de service public, de droit du sport, d’instruction en famille, d’enseignement privé hors contrat, alors que, pour l’essentiel, les lois en vigueur seraient suffisantes, pour peu que les administration compétentes (préfectures et rectorats notamment) se voient accorder des moyens suffisants pour les appliquer ?

 

Lorsque le gouvernement, au début de la pandémie de covid, a voulu considérer la liberté de célébrer le culte comme une simple liberté de réunion et l’enfermer dans le cadre juridique de celle-ci, il a fallu la résistance du Conseil d’État, saisi par les fidèles, pour rappeler que certaines libertés sont plus fondamentales que d’autres. Faudra-t-il, face à un traitement législatif et réglementaire de la vie religieuse qui la régirait par la suspicion et le contrôle administratif, que la saisine du juge devienne la seule forme de défense d’une liberté fondamentale ?