Collège régional Sud-Ouest : Bordeaux, 2011

Journée d’étude sur le thème : « Revisiter la loi naturelle »
organisée sous la direction du Professeur Claudie Lavaud 

Collège régional Sud-Ouest (Bordeaux-Toulouse)


à l’Institut Pey-Berland de Bordeaux,
samedi 24 septembre 2011, de 9 à 17 heures

L’Académie catholique de France, dont le siège est au Collège des Bernardins à Paris, a engagé depuis 2011 la création de Collèges régionaux (Toulouse-Bordeaux pour la région Sud-Ouest, Lyon-Aix-en-Provence pour la région Sud-Est), en partenariat avec les instituts universitaires catholiques, les instituts diocésains de formation, des revues et associations catholiques. L’Institut Pey-Berland de Bordeaux, a accueilli dans cette perspective une journée d’étude qui s’est tenue le samedi 24 septembre sur le thème  de « la loi naturelle ».

Quel est le sens de cette initiative ?

Cette notion qui paraît à beaucoup désuète, et quelque peu à distance des questions actuelles sur la nature en son acception la plus générale, recèle pourtant la clé de notre inscription « en tant qu’humains », dans le monde physique, l’environnement, l’évolution des espèces, la vie… Il est important en particulier de distinguer entre loi divine, loi naturelle, loi de nature, qui relèvent de registres différents.
C’est pourquoi le pape Benoît XVI a confié à la Commission théologique internationale la tâche d’une reprise à nouveau frais de la notion de loi naturelle. Ce travail a été conclu, au terme du quinquennat des travaux de la Commission, par la publication, en mai 2009, du document intitulé : À la recherche d’une éthique universelle : nouveau regard sur la loi naturelle.

Le cardinal Jean-Pierre Ricard, Archevêque de Bordeaux, nous a fait l’honneur et l’amitié de sa présence au cours de cette journée, qui a réuni cinq conférenciers, dont les réflexions ont porté sur la philosophie, le droit, la théologie morale, l’hématologie, l’approche métaphysique des sciences :

Claudie Lavaud, Université Michel de Montaigne, Bordeaux, Philosophie, Théologie — présentation des intentions orientant cette journée, explicitation du thème : « Pourquoi et comment revisiter la loi naturelle ? ».

Professeur Jean Hauser,  Université Montesquieu – Bordeaux IV, droit de la famille, des personnes et de la filiation : « Le droit de la filiation : ordre naturel ou reconstruction humaine ? »

père Laurent Lemoine, o.p., Paris, éditions du Cerf, Directeur de la Revue d’éthique et de théologie morale : « Loi naturelle et Gender : une confrontation à la mode ? ».

professeur Laurent Degos, Ancien président de la Haute Autorité de Santé, Professeur d’hématologie, Hôpital Saint-Louis : « Les lois de la nature appliquées aux êtres vivants: entre erreur et évolution »

père J.M. Maldamé, o.p. Institut Catholique de Toulouse (théologie, métaphysique, et philosophie des sciences) : « Le concept de loi naturelle et celui de nature dans le contexte de la pensée scientifique ».

L’analyse des concepts en présence, dans les définitions traditionnelles de la nature en tant que cosmos, ordre du monde, infléchit la notion de loi naturelle en accomplissant la nature humaine sous la loi de la raison universelle. Celle-ci en effet doit traverser le champ d’une critique permanente de l’expérience  et des variations du jugement selon les cultures et les formes de pensée.  Ici doit être prise en compte la part d’historicité de l’agir humain, où se déploie la vie morale, qui peut être définie par une dialectique de création et de consentement, ou encore comme une éthique de la rencontre de l’Autre. Cette nouvelle compréhension de la  loi s’appuie sur la dignité de la personne pour inscrire la relation au fil de la vie, de l’existence singulière, développant peu à peu son identité narrative.

Le professeur Jean Hauser a montré la complexité et les contradictions du droit concernant la filiation, et parfois l’imbroglio de situations inextricables : le droit oscille entre un ordre naturel qui n’est jamais pleinement établi, mais qui n’est pas pour autant réductible à une reconstruction humaine.  La filiation est difficile à reconnaître et l’on se contente parfois de l’ignorer délibérément parce que le droit estime que « la paix sociale vaut bien un mensonge ». On semble brutalement revenu au point de départ, bien loin de toute loi naturelle. Il reste à se demander si l’enfant est encore un  véritable acteur de sa propre existence ou s’il n’est pas devenu un simple enjeu des individualismes contemporains.

L’approche de l’hématologue Laurent Degos a introduit la notion de système complexe adaptatif et le rôle essentiel de l’erreur inhérente à l’évolution des formes du vivant ; cette notion de système adaptatif complexe s’applique également à des fonctionnements humains qui débordent le programme de la nature, et en appellent à notre responsabilité dans la définition du sens que nous voulons donner à la construction de la vie que nous projetons pour nous-mêmes et pour nos groupes humains.

Le père Laurent Lemoine, a donné à partir de la théologie morale une lecture très élaborée de la confrontation entre les thèses classiques de la loi naturelle et la théorie du gender. Cette dernière prône un constructivisme qui brouille les lignes et représente une menace pour la structuration de l’identité personnelle ; l’identité sexuelle est représentée comme un choix : ici encore et de manière plus grave, intervient la notion de déséquilibre permanent inhérent à l’évolution des représentations. Devenir sujet implique une plasticité voire une révolution permanente qui peut se transformer en une cacophonie organisée, où tout devient incertain, précaire. Il serait nécessaire de retrouver la « parrhésia », ou libre parole, ouvrant une vraie controverse entre des positions  en tension extrême.

La dimension  métaphysique explorée par le père Maldamé a permis d’ouvrir plus largement encore le débat sur le statut de la nature à travers la loi naturelle, et la figure contemporaine de la connaissance scientifique, et sur le statut de l’existence humaine dans son devenir personnel, sa liberté et sa responsabilité.  Cette perspective permet de ne pas placer en vis-à-vis le naturel et le surnaturel, mais de les ordonner dans une dynamique d’accomplissement. Deux erreurs peuvent guetter l’interrogation : l’une est la visée purement spiritualiste des fondements, dans la vie sociale comme dans les règles éthiques, l’autre serait de faire de la loi naturelle une loi comme les autres, simplement appliquée au cas particulier de l’humanité.

La loi naturelle engage ainsi la pensée dans une double direction : la première est en lien avec la nature comme ordre du monde, le cosmos où vient  l’homme dans sa vocation d’intendant de la création ; la deuxième renvoie à la nature comme essence et principe premier de l’existence humaine, dont l’enjeu est alors la conscience de sa liberté singulière, l’exercice de sa  volonté raisonnable, et le lien fondateur entre le bien et l’être, où se signifie la loi en tant que réponse à un appel de l’Autre.

En concluant cette journée nous avons envisagé de reprendre ces questions et de prolonger les pistes de recherche évoquées en rassemblant les textes des conférences pour une publication à venir, sous une forme à préciser.