Le transhumanisme

Collège des Bernardins, 14 juin 2013

Modérateur : Jean-Claude Guillebaud, Académie catholique de France

Orateurs :
Yves Caseau, Académie catholique de France
R.P. François Euvé, s.j., Centre Sèvres, Paris

Argumentaire de séance

Le transhumanisme, tel que défini par Max MORE est « à la fois une philosophie fondée sur la raison et un mouvement culturel qui affirme la possibilité et la désirabilité de l’amélioration fondamentale de la condition humaine au moyen de la science et de la technologie. Les transhumanistes recherchent la continuation et l’accélération de l’évolution de la vie intelligente au delà de sa forme humaine courante et de ses limites humaines, grâce à la  science et la technologie, guidés par des principes et de valeurs qui promeuvent la vie ». Les transhumanistes entendent s’appuyer sur les progrès de la biologie, de la génétique, des nanotechnologies, de l’information et des sciences cognitives pour transformer profondément l’être humain, voire le remplacer par une « créature supérieure ». Ces modifications se déclinent en des changements fondamentaux tels que la modification du génome pour provoquer des « mutations » de l’espèce humaine ou l’introduction de robots conduisant à la disparition du travail. Elles conduisent également à des questions « aux limites » qui peuvent sembler exotiques ou relevant de la fiction, telles que la recherche de l’immortalité ou la capacité à transférer la conscience d’un processus biologique vers un autre. Les modifications transhumanistes posent également des questions plus concrètes telles que l’eugénisme ou l’autonomie qu’il convient de laisser à des « robots intelligents ».
Pourquoi introduire ce sujet à l’Académie Catholique de France ? Certains penseurs, tels que Francis FUKUYAMA  pensent que le transhumanisme « est l’idée la plus dangereuse de l’histoire de l’humanité ». Jean-Pierre DUPUY écrit : «  Je suis moins choqué par une science qui se prétend à l’égal de Dieu que par une science qui supprime une des distinctions les plus fondamentales dans la quête de sens que mène l’humanité depuis qu’elle existe, la distinction entre ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas, ou, pour parler clairement, entre la vie et la mort ». D’autres considèrent le transhumanisme comme la réponse, radicale mais nécessaire, aux problèmes et questions-clés qui se posent à l’humanité du 21e siècle, qu’il s’agisse de pauvreté, de réchauffement climatique ou d’épuisement des ressources. Le discours transhumaniste conduit logiquement à une évolution de ce que « être humain » veut dire,  un glissement sémantique rendu  nécessaire dans les  propositions les plus radicales, pour que la transformation proposée (le « trans » de transhumanisme) devienne acceptable d’un point de vue moral. Le transhumanisme se nourrit également d’un rejet de la corporalité, de cette enveloppe de chair tenue pour un carcan. Ce « refus de l’incarnation » est certes plus large que le courant transhumaniste. Cela pousse Jean-Michel BESNIER à écrire à propos du transhumanisme : « Mais d’où vient que les scientifiques, quand ils ne s’y rallient pas, n’opposent guère de résistance aux fantasmes qui entourent cette convergence technologique ? Serait-ce parce qu’ils sont aussi victimes de cette mésestime de soi qui rend vulnérable et réceptif aux promesses d’une transfiguration de l’humain ? ».
Dans une société qui perd ses repères historiques, culturels et religieux, ce débat est essentiel dans tous les sens du terme. Il s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de la réflexion de l’Académie catholique de France sur le « Progrès », dont le transhumanisme peut être vu comme un paroxysme. Très logiquement, un des enjeux majeurs concerne la maîtrise et le contrôle des changements scientifiques et technologiques. Dans le cadre des transformations prônées par le transhumanisme, nous sommes confrontés à des systèmes complexes dont il est clair qu’ils nous échappent. Sous le prétexte de petits changements incrémentaux « difficiles à arrêter », les transhumanistes proposent un saut dans l’inconnu, sans parachute. Le premier objectif de cette séance est de réunir les termes du débat et d’envisager la contribution que pourrait apporter notre académie et,  plus largement, le témoignage que l’Eglise pourrait faire entendre sur la « définition » de l’être humain.

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