Discours de réception de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, évêque auxiliaire de Paris
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs
La bienveillance constante du Professeur Vieillard-Baron à mon égard me renforce dans la conviction qu’en m’invitant à rejoindre la 3e section de l’Académie catholique de France, vous me faites un honneur qui m’oblige grandement. Il m’oblige à travailler pour m’en montrer à peu près digne, sinon par les titres acquis, du moins par l’assiduité et par l’effort que je ferai pour répondre aux buts de cette Académie.
Au Moyen Âge, et encore à l’époque où le bâtiment qui nous abrite ce soir fut construit, la théologie se considérait comme la reine des sciences et nul ne songeait sérieusement à lui contester ce privilège. Seulement, la charge royale est lourde et finalement encombrante. La théologie a affranchi ses suivantes, à commencer par la philosophie, et celles-ci ne se sont pas privées de jouir de leur liberté : elles ont laissé tomber leur ancienne suzeraine. Celle-ci cependant a appris à trouver dans cette situation de la liberté et de la grandeur. Du moment qu’elle renonce à la nostalgie d’un état de choses dépassées, je suis convaincu qu’elle peut porter une parole et une lumière stimulantes pour les temps à venir.
La théologie chrétienne naît du fait qu’il y a un Ancien Testament et un Nouveau Testament qui l’un et l’autre désignent le Christ Jésus devant lequel chacun est appelé à se déterminer à partir de lui-même mais aussi en recevant le don de Dieu. À vrai dire, il n’y a de théologie que dans le christianisme, ou alors la théologie chrétienne est autre chose que ce que l’on peut appeler la théologie de toute autre religion : le Christ Jésus est le Messie d’Israël, il accomplit les Écritures, mais d’une façon qui dépasse tout ce qui pouvait être attendu, décevante à parler vrai au regard extérieur, infiniment forte et prometteuse pour celui qui sait voir.
Est consubstantiel à la foi chrétienne l’effort pour dire que le Christ Jésus, le Crucifié de Jérusalem, accomplit les Écritures et, à travers elles, les attentes les plus profondes des hommes. Cet effort a suscité au long des temps l’élan de l’Église, car tout chrétien, par sa manière d’être et de vivre, est censé confesser que Jésus est le Messie et qu’il a les paroles de la vie éternelle. Il a suscité aussi un travail intellectuel, de compréhension des Écritures d’abord, dans toutes leurs dimensions —et ce travail-là s’est profondément renouvelé au XXe siècle —, et d’approfondissement des réalités du monde, ensuite.
Dans la construction de l’université, ici, à Paris, la théologie a fixé aux autres disciplines leur cahier des charges et leur a prescrit même leurs résultats. Depuis des siècles, l’ordre s’est inversé. La théologie aujourd’hui ne peut guère s’imaginer décider de quoi que ce soit à l’égard des autres sciences ou des autres disciplines, et il nous faut nous en réjouir. La théologie peut librement se nourrir de toutes les autres activités des hommes, du moins elle peut espérer y parvenir, et elle peut non moins librement les critiquer, non pas tant à partir de leurs résultats qu’à partir de l’homme lui-même qui pratique ces sciences ou ces disciplines.
J’attends donc beaucoup, Mesdames et Messieurs, des échanges dont je pourrai profiter avec vous, dont je serai le spectateur et peut-être un peu partie prenante. Car toutes les sciences et toutes les disciplines, les sciences les plus dures comme les disciplines les plus littéraires, représentent un défi pour la théologie, un défi éprouvant et surtout réjouissant, le défi d’avoir à proclamer la Résurrection face à toutes les réalités du monde. J’aimerais que la théologie devienne un défi pour toute science ou discipline, parce qu’elle met en lumière l’extraordinaire grandeur de l’homme qui n’est pas tant dans son déploiement en surface que dans sa mémoire et son intériorité dans lesquelles s’enracine sa capacité à se déterminer spirituellement.
Toujours il s’agit de mieux découvrir comment l’homme, dans ses refus et dans ses adhésions, lorsqu’il est confronté à la proclamation du Ressuscité, peut repenser de manière renouvelée ce qu’il vit et ce qu’il est et comment l’humanité, en son histoire globale, tout à la fois absorbe des morceaux entiers de la révélation chrétienne et les esquive. Toujours il s’agit de proclamer comment l’homme qui sait déchiffrer le réel qui l’entoure et qui l’habite a besoin de tout le réel pour se dire lui-même et ne se dit pleinement qu’en renonçant à se chercher. En un temps où la vérité de chaque science ou de chaque discipline peut difficilement être conçue comme se combinant spontanément en un tout harmonieux avec celle des autres, la théologie porte, je crois, la promesse d’une unité qui vient des profondeurs du cœur de l’homme et de l’ampleur de l’appel de Dieu.
Présent parmi vous comme évêque aussi, je me réjouis de trouver dans l’Académie un lieu de communion, sinon des intelligences, du moins des personnes tendues vers le temps où Dieu sera tout en tous. Acceptez, ce soir, l’expression de ma gratitude pour cet effort auquel vous voulez bien m’associer.
† Éric de Moulins-Beaufort