Messe annuelle de l’Académie catholique de France
le 25 janvier 2013 en l’église Saint-Thomas-d’Aquin de Paris
« Seigneur, qui es-tu ?… Que dois-je faire ? »
Ces deux questions du pharisien Saul, rempli de zèle mais projeté à terre par la voix divine et la lumière céleste, sont essentielles à toute démarche de conversion et de foi.
A.
Tout homme, s’il est normalement constitué, ne peut pas ne pas se poser la question fondamentale sur Dieu et sur Jésus : « Qui es-tu, Seigneur ? ». Au fond de son cœur et de sa conscience est inscrit le désir inné de connaître Dieu, de rechercher sa face ; comme saint Augustin, il est en quête de Dieu, jusqu’au jour où il comprend que Dieu le cherche avec encore beaucoup plus d’avidité. Saint Paul était persuadé qu’il faisait œuvre divine en persécutant les adeptes de la voie nouvelle ; et voilà que le Christ en personne vient à sa rencontre et le réveille, en quelque sorte, s’emparant de lui au moment où il se montrait le plus déchaîné dans sa fureur contre l’Église naissante, l’invitant à discerner sa face divine dans ceux qu’il persécute. Le Seigneur se manifeste à lui, non pas dans la pauvreté de Noël, mais dans sa gloire de ressuscité et sa puissance de juge des nations.
Même si nous sommes chrétiens de longue date, le Seigneur et l’Église nous exhortent continuellement à la conversion ; le temps du Carême qui approche en sera une nouvelle occasion. Trop souvent aussi, nous pensons que cette conversion est d’abord notre propre œuvre personnelle d’ascèse, alors qu’elle est principalement et premièrement celle de la miséricorde, comme le chante le psaume : Converte nos, Deus (Ps. 84, 4). Nous convertir consiste à retourner entièrement notre regard pour voir le vrai visage de Dieu et entrer en communion avec lui, qui est le trésor de notre foi.
B.
La conversion est bien un redressement, puisque le premier péché, dans notre chute, nous a fait culbuter ; depuis lors, notre regard est faussé, nous achoppons sans cesse sur la juste valeur des pensées divines, tant elles nous semblent contraires à nos catégories. N’est-ce pas nous plutôt qui considérons toutes choses à l’envers ? Le monde est tombé sur la tête et il a besoin de se relever pour saisir la justesse du message évangélique, à commencer par les béatitudes qui nous paraissent si paradoxales et déconcertantes, si nous les jugeons avec nos critères humains. Acceptons plutôt d’être souvent désarçonnés, de lâcher nos préjugés, de descendre de notre piédestal pour nous remettre au niveau de Dieu, qui s’est fait si petit, si proche de l’homme, et nous pourrons alors comprendre son dessein d’amour.
Ce retournement nous dépasse, nous avons besoin d’une illumination de la grâce, sinon de la lumière éclatante qui a aveuglé saint Paul ; nous avons besoin d’être instruits par ceux qui ont reçu la sagesse divine : « On te dira ce que tu dois faire ». En se relevant, Paul doit se laisser conduire et éclairer par d’autres, moins savants que lui. Sachons, nous aussi, abandonner le programme de sainteté que nous nous sommes préfabriqué ; il nous faut renoncer à la perfection que nous aurions vite tendance à placer dans nos privilèges et nos avantages, alors que la voie authentique de la sainteté est celle de l’humilité, comme nous l’a indiqué la Vierge Marie, qui ne s’est jamais glorifiée de n’avoir pas de péché, mais qui, humblement, a reconnu dans sa sainteté l’œuvre de la toute-puissance divine.
Pour répondre à l’appel de sainteté que nous adresse la voix de Dieu, comme saint Benoît y exhorte ses moines, nous devons, sans pour autant renier ce qui, en nous, peut servir au véritable épanouissement spirituel de l’homme, nous détacher des multiples idoles intérieures et extérieures qui meublent l’univers qui nous entoure et peut parfois nous fasciner : la soif du pouvoir, l’idolâtrie du sexe, l’attrait de l’argent, la propension pour le progrès et la technique. Le Saint Père Benoît XVI rappelle souvent que l’homme orgueilleux se ferme à toute référence à la transcendance divine et se prive, par conséquent, des forces de la grâce et des joies de croire.
C.
C’est seulement après le vide opéré par la conversion, après l’illumination de la grâce, après l’acte de foi et d’attachement au Christ et le retournement moral que Paul peut devenir le prédicateur choisi par Dieu pour annoncer l’Évangile au monde païen. La prédication, il le soulignera lui-même, n’est pas le fruit de la sagesse humaine et des dons naturels, mais elle jaillit de l’expérience de la rencontre avec le Seigneur ; alors, puisée dans le cœur même de Dieu, cette prédication ne peut faire l’impasse sur la croix et la conversion de la vie, seul chemin voulu par Dieu pour ouvrir la porte de la gloire.
« Pour moi, vivre, c’est le Christ », disait saint Paul (Phil. 1, 21) ; « ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Gal. 2, 20). La collecte nous a demandé de suivre l’exemple de saint Paul, « en cherchant à lui ressembler », ce qui signifie avant tout nous laisser conduire par la grâce, qui fait de nous des enfants de Dieu.
Témoins de la force de cette grâce divine, nous sommes tous appelés aussi à être, dans notre monde, annonciateurs de l’Évangile, comme le demande encore l’oraison de ce jour. Dans notre société qui a perdu le sens de Dieu, parce qu’elle a perdu le sens du péché, confondant le bien et le mal, dans notre société qui, trop souvent, se passe volontairement de Dieu et bafoue la loi naturelle, la perte des valeurs mène à la dérive morale, comme nous ne le constatons que trop. Notre vie chrétienne, fortifiée par la foi et menée dans la joie, est un témoignage crédible ; selon les vocations et les missions dans l’Église, chaque chrétien, qui a reçu au baptême l’habilitation à rendre un culte à Dieu et à devenir missionnaire, doit proclamer bien haut les vérités immuables de la loi divine face aux puissances des ténèbres qui cherchent à étouffer la voix de la vérité et à voiler la lumière céleste.
La conversion de saint Paul est le fruit de la prière de saint Étienne ; notre rôle primordial est, par conséquent, de prier pour que la lumière soit accueillie, en particulier dans notre pays. Cette évocation nous plonge dans le grand mystère de la communion des saints.
Confions cette lourde mission de prière, d’exemple et de parole à la Vierge, à celle que l’Église invoque comme écrasant la tête du serpent diabolique et brisant toute hérésie, elle que saint Paul reconnaissait jouer un rôle primordial dans l’œuvre de la Rédemption, en affirmant : « Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale » (Gal. 4, 4). Recommandons-nous aussi à saint Paul pour qu’il nous aide à convertir notre intelligence à la lumière divine qui éclaire notre chemin, à ouvrir notre cœur à la voix de Dieu qui parle à notre conscience et à accueillir la grâce qui donne l’audace de confesser devant tous la beauté de notre foi. Alors, nous pourrons, comme lui, dire au terme de notre pèlerinage terrestre : « J’ai combattu jusqu’au bout le bon combat, j’ai gardé la foi » (2 Tim. 4, 7).
Portrait : abbaye de Solesmes.