Mesdames, Messieurs,
chers Amis,
C’est une joie et un honneur pour moi de me trouver ce soir parmi vous. Et je remercie très sincèrement votre président, Monsieur Hugues Portelli, de m’avoir, en votre nom, invité à présider et à ouvrir cette séance solennelle de rentrée de votre Académie.
Ouvrant cette séance, je voudrais, en quelques mots, souligner le triple enjeu du travail de votre Académie, tel que je le perçois.
Un enjeu de rencontre et de confrontation de savoirs
Nous sommes souvent devant une fragmentation du savoir, chacun développant sa discipline, ce qui est légitime, mais ayant aussi la tentation de s’enfermer dans son champ de recherche, de ne pas sortir de son domaine de compétence. Comment alors parvenir à une approche plus globale de l’homme, de la société, de notre monde ? Le pape Jean-Paul II attirait notre attention sur ce point dans son encyclique Fides et Ratio :
Faisant mien ce que les Souverains Pontifes ne cessent d’enseigner depuis plusieurs générations et que le concile Vatican II a lui-même redit, je désire exprimer avec force la conviction que l’homme est capable de parvenir à une conception unifiée et organique du savoir. C’est là l’une des tâches dont la pensée chrétienne devra se charger au cours du prochain millénaire de l’ère chrétienne. La fragmentation du savoir entrave l’unité intérieure de l’homme contemporain, parce qu’elle entraîne une approche parcellaire de la vérité et que, par conséquent, elle fragmente le sens. Comment l’Église pourrait-elle ne pas s’en inquiéter ? (85.)
Pour aider à cette « conception unifiée et organique du savoir », il est bon qu’il y ait des lieux qui facilitent la rencontre des personnes, la confrontation des approches, une recherche pluridisciplinaire. Cela implique une confiance dans la recherche de la vérité, une vérité qui ne se réduit pas qu’à ma propre approche ou à ma propre réflexion. Pouvoir recevoir de l’autre et enrichir ainsi sa propre approche de la vérité n’est-il pas le fondement de tout dialogue ? Le pape François écrit dans son encyclique Fratelli tutti :
Dans une société pluraliste, le dialogue est le chemin le plus adéquat pour parvenir à reconnaître ce qui doit toujours être affirmé et respecté, au-delà du consensus de circonstance. Nous parlons d’un dialogue qui a besoin d’être enrichi et éclairé par des justifications, des arguments rationnels, des perspectives différentes, par des apports provenant de divers savoirs et points de vue, un dialogue qui n’exclut pas la conviction qu’il est possible de parvenir à certaines vérités élémentaires qui doivent ou devraient être toujours soutenues (n° 211).
La composition de votre académie avec ses six sections, avec des membres titulaires, honoraires et associés couvrant l’ensemble du champ des disciplines, favorise cette rencontre, cette confrontation et cette recherche commune. Vos travaux en bénéficient et votre réflexion en est enrichie. C’est ainsi que j’ai apprécié qu’une de vos dernières déclarations Sur l’indisponibilité du corps humain (de 2018) s’appuie sur une triple approche, scientifique, juridique et philosophique.
Un enjeu de participation aux débats de société
Vous êtes une Académie catholique. Vous souhaitez réaliser « une jonction entre un exercice de rationalité et une détermination croyante, entre « critique » et « conviction » (Père Philippe Capelle-Dumont). Vous avez le souci de rappeler, dans une société qui risque de les oublier, les richesses de la tradition chrétienne, mais aussi la pertinence d’une intelligence croyante aujourd’hui. Cette tradition est beaucoup moins uniforme qu’on ne le croit. Elle est traversée par des approches et des courants divers. C’est un des enjeux de votre Académie de permettre à cette diversité de s’exprimer, de dialoguer et d’œuvrer à une parole commune.
Car, loin de vous enfermer dans un cénacle docte et confortable, à l’écart des tribulations du monde, vous avez le souci de participer aux interrogations et aux débats qui traversent notre société. Votre Académie est présente dans les aréopages d’aujourd’hui. Vous offrez votre réflexion comme une participation à la recherche de tous. L’actualité est bien présente dans les thèmes que vous abordez. Je pense tout particulièrement à vos deux récentes communications du 4 février dernier : Bioéthique : un projet de vie inquiétant et Liberté religieuse, liberté d’association et laïcité. Il faut également mentionner vos éditoriaux, déclarations publiques, colloques, émissions et tous ces livres publiés par beaucoup d’entre vous. Ces prises de parole sont particulièrement précieuses aujourd’hui, même si on peut souhaiter qu’un plus grand écho puisse leur être apporté.
Un enjeu ecclésial
Il est bon qu’à côté de la parole hiérarchique, il puisse y avoir dans l’Église, et au service même d’une présence chrétienne au sein de notre société, une parole autorisée. Après la disparition du Centre catholique des intellectuels français, il y avait comme un manque en ce domaine. La création de votre Académie a voulu y répondre avec une proposition spécifique et je m’en réjouis. Plusieurs fois, parlant de la synodalité, le pape François a souligné que les évêques devaient se mettre à l’écoute du peuple de Dieu, car celui-ci est habité par un sensus fidei qui l’habilite, non pas seulement à ne pas errer dans la foi, mais à chercher des chemins nouveaux pour une annonce renouvelée de l’Évangile. Par la richesse de composition de votre Académie et des instances universitaires catholiques qui lui sont liées, j’estime que votre Académie est vraiment « une sorte de laboratoire culturel providentiel », selon l’expression du pape François dans sa constitution apostolique Veritatis gaudium, (n° 3). Elle peut être un bon lieu d’exercice de l’expression de ce sensus fidei,que je viens d’évoquer. Nous allons avoir ce soir, je pense, un bel exemple du fonctionnement de ce laboratoire, avec l’accueil de nouveaux membres et les prises de paroles du Père Philippe Capelle-Dumont et de Monsieur Jean-Marie Rouart. Excellente soirée à tous !
† Jean-Pierre cardinal RICARD
Archevêque émérite de Bordeaux