Au cours du pontificat de Jean-Paul II, le point de vue « romain » sur le vêtement liturgique s’est transformé, donnant aux célébrations papales une grandeur et une beauté inégalées depuis les réformes post-conciliaires.

Le début du pontificat commence comme celui de Paul VI a fini ! Le court règne de Jean-Paul Ier a vu abandonner définitivement la cérémonie du couronnement, cependant, le pontife est, à plusieurs occasions, coiffé d’une mitre précieuse que l’on n’avait plus vue depuis 1969. Jusqu’en 1988, le maître des cérémonies pontificales, Mgr Vigilio Noè, grand liturgiste, continue ce qu’il avait fait sous Paul VI et le pontife, tout occupé à sa mission, se laisse faire.

Cependant, Jean-Paul II est un homme de théâtre. Il sait combien le visuel est important pour ses contemporains. La première décennie de son pontificat, riche en déplacements à Rome et à travers le monde, l’a conforté dans son sentiment. Il a conscience que le parvis de la basilique Saint-Pierre, ainsi que les messes retransmises en Mondovision lors des grands voyages apostoliques, sont une scène, où se produit un « théâtre sacré » dont il est le personnage central. Ses interventions visuelles sont regardées non seulement par les catholiques, mais aussi par des millions de non-chrétiens et de non-croyants. L’enjeu est très important. Le pape voit une manière de toucher le monde par la beauté, et fait sienne une des idées du concile Vatican II exprimées par Sacrosanctum concilium.

Comme il est d’usage, après quelques années de règne, le pontife confie la charge des cérémonies à un homme qui est susceptible de partager ses idées. C’est ainsi qu’il nomme Piero Marini, cérémoniaire depuis 1977 et membre de la Congrégation pour la Liturgie, en remplacement de Mgr Noè.

Piero Marini, formé à l’ombre du grand liturgiste lazariste Annibale Bugnini, a bien conscience que la liturgie doit rester traditionnelle tout en étant compréhensible aux contemporains. Son point de vue et celui du pape convergent : la liturgie romaine doit être exemplaire et être également un lieu de pédagogie : « La pastorale liturgique devra patiemment affronter une sorte d’analphabétisation des hommes et des femmes de notre temps, et même souvent aussi analphabétisme des chrétiens assidus à l’assemblée eucharistique. » Son maître mot est la beauté, reprenant les affirmations du texte conciliaire Sacrosanctum concilium : « Quelle autre réalité de l’Église est capable de conjuguer et d’exprimer la beauté au même degré que l’espace et l’action liturgique ? Non seulement le lieu mais aussi l’action, c’est-à-dire le geste, la posture, le mouvement, les vêtements doivent manifester l’harmonie et la beauté[1]. »

C’est cette beauté empreinte de noblesse que Mgr Marini chercher à atteindre lors des célébrations liturgiques du Souverain Pontife, dont il aura la charge pendant plus de quinze ans. Sa conviction est « qu’au début du IIIe millénaire, il est nécessaire de donner l’image d’une Église qui célèbre, qui prie et qui vit le mystère du Christ à travers la beauté et la dignité des célébrations… Beauté qui n’est pas seulement un formalisme esthétique mais qui est fondée sur une noble simplicité. » Pour lui, la liturgie papale doit être le prototype et l’exemple de toute liturgie romaine. La messe papale, dans cette perspective liturgique, devient l’archétype de la célébration, d’autant que les cérémonies romaines retransmises en Mondovision sont visibles du plus grand nombre. L’action et le vêtement liturgique du IIIe millénaire doivent tenir compte de l’éclairage et des jeux de lumière tout autant que des contraintes liées à l’audiovisuel. Les créateurs doivent chercher la forme du vêtement la mieux adaptée à la gestuelle liturgique car le corps participe pleinement à l’action sacrée.

C’est ainsi que Piero Marini se met en quête d’artistes capables de réaliser des vêtements correspondant à cette vision. Il porte sa recherche au-delà des cercles habituels des monastères féminins tissant et brodant pour l’art liturgique. Il se tourne vers l’école milanaise Beato Angelico, qui, depuis un siècle, associe des artistes à l’art de l’autel. Cette société, encouragée par Pie XI et Paul VI, a fourni plusieurs vêtements au pape Montini[2]. Mais Mgr Marini veut aller plus loin. Il rencontre vers 1995 un prêtre vénitien, incardiné au petit diocèse des Syriens catholiques, Stefano Zanella, installé à Trévise. Ce dernier, historien et iconographe, a longuement approfondi l’histoire du vêtement liturgique tant byzantin que latin et a voulu la mettre en pratique en œuvrant avec un brodeur, Gianluca Scatollin, au sein d’un atelier qui devient, en 1997, la sartoria X Regio. Les convictions en matière liturgique des deux créateurs rejoignent celles de Mgr Piero Marini. Les vêtements créés sont fortement ancrés dans la Tradition par leur forme et adhèrent à l’art contemporain par leur décor. Plus de quinze mitres ont été réalisées pour Jean-Paul II, une dizaine de mantum, dont trois pour l’Année sainte du millénaire, vingt chasubles, les mitres et les chasubles cardinalices pour les chapelles papales, les dalmatiques des cardinaux diacres et des diacres assistants.

Pour certaines œuvres particulièrement soignées, l’étoffe est tissée spécialement d’après un dessin. C’est le cas pour le mantum porté par le pape lors de l’ouverture de la Porte sainte, à Saint-Pierre, la nuit de Noël 1999. Le dessin répétitif représente la porte d’or du IIIe millénaire s’ouvrant sur le bleu et le rouge, couleur de l’humanité et de la divinité du Christ. Le tissage des deux couleurs sur fond or signe la parfaite union en Christ du divin et de l’humain dans la lumière de la Résurrection[3]. Le dessin s’inspire d’un décor graphique connu depuis l’ère paléochrétienne, reproduisant des arcatures. Plus que les fidèles catholiques un peu désorientés, La presse est enthousiaste ; L’Avvenire écrit, le 28 décembre 1999 : « c’est un habit de noces inattendu, rayonnant de lumière réverbérée et de couleurs… Ce sont les couleurs de toute la terre projetées sur l’habit nuptial du pontife » et dans La Sicilia, « Le mantum du pape Wojtyla a produit une innovation de la recherche tant technologique du tissu que du dessin et nous sommes intéressés de connaître en profondeur quelles sont les raisons, les motivations et l’herméneutique ce cet objet d’art[4]. » De plus, il apparaît important au Maître des célébrations liturgiques de manifester de manière visible la primauté de Pierre. Dans sa réflexion Liturgia e bellezza, après avoir constaté le renoncement au port de la tiare, Mgr Piero Marini propose de modifier l’actuel pallium et de revenir à sa forme médiévale de longue écharpe «pour exprimer davantage son sens ecclésial et christologique[5]. »

Parallèlement, Piero Marini, sans pouvoir endiguer le flot permanent de cadeaux liturgiques venant du monde entier, essaie d’adapter la vaisselle liturgique à la vision qu’il partage avec le pontife. Il fait appel à des artistes contemporaines pour la réalisation des cassettes emmurées dans les portes saintes en 2001 et des urnes pour le conclave de 2005. Il commande à l’orfèvre parisien Goudji tout un ensemble (chandeliers, croix papale, etc.) lors de la béatification de Pio da Petrelcina (Padre Pio), puis le marteau et un formal solennel pour l’ouverture de la Porte sainte de Saint-Pierre, en 1999[6].

 

Ainsi, plus que tout autre, Jean-Paul II a porté un regard attentif à l’expression liturgique acceptant de servir de modèle avec beaucoup de grâce et d’humilité.

Bernard Berthod

Illustration : Wikimedia.

 

[1] Conférence qu’il donne pour le XLe anniversaire de la publication de Sacrosanctum concilium.

[2] Dont la fameuse mitre aux évangélistes que Paul VI a portée près de dix ans.

[3] Ce tissage spécial, en fibre de lurex a été exécuté par la firme Faliero Sarti & Figli de Prato.

[4] Prof. Pasquale Culotta, La Sicilia, 13 mars 2000.

[5] Piero Marini, Liturgia e bellezza, esperienze di tinnovamento in alcune celebrazioni pontificie, § 3.7, Cité du Vatican, 2004.

[6] Goudji a créé aussi un formal pour Benoit XVI , offert en 2008.