Son nom déjà avait quelque chose d’imposant et même d’intimidant : qu’est-ce que c’était que cette alliance, à ras de patronyme, d’une sagesse altière et d’une noblesse immémoriale ?
Pour moi, Jean-Louis était d’abord ce professeur à l’ancienne qui dominait, d’un ton sec, l’auditoire de nos cours à Poitiers sans que quiconque ait jamais eu l’idée de contester son avis magistral. Un maître.
C’était, et cela reste au lendemain de son décès, l’image ensuite de l’un des meilleurs experts de l’idéalisme allemand que sa génération ait connue. Mais d’un idéalisme à la grande manière : pas celui des marxistes, pas celui des athées, celui-là même qui régnait sur les rives du Nectar à Tübingen dans la passion des idées, de l’âme et de Dieu. Ce grand Monsieur qui vient de partir était de la race des Platon, des alexandrins, des platoniciens de tous les temps et surtout, surtout, des amoureux de l’esprit dans toute son extension : en ce compris les parages parfois gnostiques et dangereux — peut-être pas gnostiques ni dangereux mais très johanniques et parfois mystérieux, d’un ésotérisme religieux qui faisait aussi le fonds complexe de sa pensée.
Jean-Louis a surtout été l’ultime, à ma connaissance le dernier représentant de cette forte lignée française aux multiples embranchements racontés autrefois (entre autres) par Dominique Janicaud, que par commodité je vais appeler le spiritualisme français. Née sous la plume de Biran, biberonnée par Ravaisson, cette génération prestigieuse et variée a compté des philosophes aussi prestigieux que Maurice Blondel, Henri Bergson, Louis Lavelle dont Jean-Louis était un expert. Et un héritier à temps plein par la forme même de sa pensée.
Je voudrais, à l’heure où un hommage croissant va sans aucun doute monter aux artères de l’université française, faire l’éloge aussi pour l’Académie catholique de France d’un philosophe de la religion qui n’a pas craint, après les années 1968 et par une forme de résistance, de tenir Dieu et l’intériorité du cœur comme des sujets dignes d’intérêt. Parce que sa propre vie spirituelle était riche et élevée, il a été, rare en son siècle, un philosophe de l’esprit qui a su former des consciences, des intelligences et surtout des âmes. Merci mon ami, merci Jean-Louis.
Éléments biographiques
Né à Paris le 19 avril 1944, Jean-Louis Vieillard-Baron fut l’une des grandes figures de la philosophie française contemporaine. Ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud (promotion 1965), agrégé de philosophie en 1969 et docteur d’État en 1976, il enseigna d’abord à l’université de Tours (1973 – 1989), puis à l’université de Poitiers, où il dirigea le Centre de recherche sur Hegel et l’idéalisme allemand. Il donna également, durant de nombreuses années, le cours de philosophie de la religion à l’Institut catholique de Paris. Boursier Humboldt en Allemagne, il travailla au Hegel-Archiv de Bochum et fit de la pensée hégélienne l’un des axes majeurs de ses recherches.
Spécialiste reconnu de l’idéalisme allemand et du spiritualisme français, Jean-Louis Vieillard-Baron a consacré une œuvre considérable à la question du temps, à la métaphysique de l’esprit et au rapport entre philosophie et théologie. Son livre Hegel, Système et structures théologiques (2006) lui valut le prix Gegner de l’Académie des sciences morales et politiques. Il a également renouvelé l’étude de Platon (Platon et l’idéalisme allemand, 1979), de Bergson (Bergson, 1991 ; Le Secret de Bergson, 2013) et du courant spiritualiste français dont il a livré une vaste synthèse dans Le Spiritualisme français (2021). On lui doit encore des travaux marquants sur le temps (Le Temps : Platon, Hegel, Heidegger, 1978 ; Le Problème du temps, 2008), sur l’éducation (Qu’est-ce que l’éducation ?, 1994) et sur le rapport entre religion et cité (2010).
Fondateur et président de l’Association Louis-Lavelle depuis 1989, membre de la section « Philosophie et théologie » de l’Académie catholique de France, il a joué un rôle décisif dans la redécouverte et l’actualisation du spiritualisme français.
Emmanuel Tourpe